La mutation "Joues blanches" du diamant mandarin

Texte et photos : René Druais, juge CNJF-OMJ


 

C’est en octobre 2017 que j’ai eu l’occasion, lors d’une exposition-vente organisée par mon club (COMorlaix 29), de voir pour la première fois ce type nouveau de mandarins. L’éleveur qui les cédait m’a indiqué que c’était un de ses amis qui les lui avait ramenés des Pays Bas.
Par curiosité, je pris un couple que j’installais à part dans une cage d’élevage, mes autres mandarins étant encore tous en volières. Dix jours plus tard, la femelle ayant pondu au fond de la cage, je lui mis un nid et le couple mena à bien l’élevage de 3 jeunes.
Comme mon objectif était de mieux connaître cette mutation pour en rédiger éventuellement le standard, je fis alors l’acquisition chez le même éleveur de 2 autres couples.                                                                                
   
 IMG 1166 b Mle gris 1  IMG 1147 2 Femelle 46 Couple 1 : Gris JB x Dos pâle grise JB                                     
       
 IMG 1157 b Mle 540 IMG 1158 b Femelle 54   Couple 2 : Dos pâle gris JB x Dos pâle grise JB                                     
       
IMG 1182 b Mle 3 IMG 1178 b Femelle 3 1  Couple 3 : Dos pâle gris JB x Dos pâle grise JB          
     
Si précédemment j’emploie le terme « Joues blanches », les photos de mes 3 mâles et d’une femelle montrent à l’évidence que les joues ne sont pas toutes d’un blanc pur mais mêlées de gris et de noir.
 
Avant même d’obtenir des jeunes, je me suis posé la question : ce noir des joues viendrait-il du facteur Joues noires ? Et mes oiseaux en seraient-ils porteurs ? Avec cette hypothèse, les résultats théoriques de croisement auraient été les suivants : 25% de Joues blanches, 50% de Joues blanches porteurs de Joues noires, 25% de Joues blanches Joues noires ! En admettant que 2 de mes femelles soient des Joues blanches et les 4 autres des Joues blanches / Joues noires, je me suis alors demandé quel pouvait être le phénotype des oiseaux Joues blanches et Joues noires à la fois ?
 
Pour en savoir plus, j’ai trouvé dans la revue belge « de Zebra » des articles qui en parlaient.
 
J’ai ainsi appris que le premier mâle à joues blanches était apparu en 1993 en Belgique chez Mr Vermeulen d’un accouplement de 2 Dos pâles gris Joues noires (frère et sœur). Dans le nid, les joues étaient noires mais chaque plume avait un liseré blanc ; c’est par la suite que les joues sont devenues plus blanches, le noir étant comme repoussé vers l’extérieur de la joue. Zébrures et barreaux de queue étaient normaux mais les plumes noires de la barre de poitrine étaient bordurées de blanc et les flancs, châtain clair, étaient d’abord zébrés puis écaillés.
 
Jusqu’en 1998, cet éleveur essaya tant bien que mal, de garder la mutation mais découragé par le manque d’intérêt d’autres éleveurs et l’obstination des juges à y voir de mauvais Joues noires, il a fini par céder tous ses oiseaux à un grossiste qui les vendit en Israël.
En 2005, aux Pays Bas chez Mr Peerdeman des oiseaux à joues blanches sont apparus aussi mais à cause de résultats décevants et des problèmes de mortalité, il n’y eut pas de suite.
En 2011, c’est Mr Duvivier qui obtint d’un couple de gris (à son grand étonnement car il travaille gris sur gris sans sortir la moindre mutation depuis 6 générations), une femelle dos pâle gris très particulière possédant :
1) des joues blanches parfaitement délimitées ;
2) des traits de bec bien marqués mais pas de traits de larme ;
3) une poitrine presque blanche ;
4) des barreaux de queue bien délimités noirs et blancs en alternance.
Dans son article, il précise qu’au nid, l’oiseau se démarquait des autres, tous gris, par des joues déjà très claires dès la poussée des plumes.
Présenté lors d’un championnat AOB, il eut droit à toutes sortes d’avis plus ou moins opposés de la part d’éleveurs chevronnés ou de juges : poitrine blanche pour les uns, poitrine noire pour les autres.
Ne pouvant la croiser avec son père (mort entre temps), il choisit de l’accoupler avec un mâle gris poitrine blanche : sur les 7 jeunes nés : aucune poitrine blanche mais 7 gris classiques sûrement porteurs de poitrine blanche. Sa femelle resta donc une anomalie mais j’ignore s’il y eut une suite.
 
En 2012, Paul Chabot, bien connu des éleveurs de mandarins pour avoir été à l’origine de la mutation Poitrine orange en 1978, découvrit dans une animalerie un mâle dos pâle avec des joues partiellement blanches et partiellement noires et un dessin de flancs modifié (ondulations). Après un premier essai (non concluant) avec une femelle poitrine noire, il accoupla son mâle à une femelle joue noire grise. Il obtint plusieurs jeunes avec des joues partiellement blanches jusqu’à complètement blanches, et cela se voyait déjà dans le nid.
 
Dans un article daté de 2014, n’ayant pu, pour cause de déménagement, poursuivre ses accouplements, il tire cependant un premier bilan de ce qu’il considère comme une mutation nouvelle :
1) la joue noire devient partiellement ou entièrement blanche chez les mâles comme chez les femelles.
2) le trait de larme manque.
3) les barreaux de queue sont classiques.
4) le dessin de flancs est modifié en ondulations (pour les joues blanches et noires) mais devient totalement blanc si la joue est complètement blanche.
5) l’hérédité est dominante vis-à-vis de la joue noire mais récessive par rapport aux autres mutations à joues châtain brun.
 
Par prudence, il confia quelques oiseaux mutés à d’autres éleveurs (J. Van Looy, W. Vermeulen et L. Lievrouw) charge à eux de poursuivre des recherches sur leur hérédité. Leurs résultats portent sur 90 oiseaux mais leurs conclusions incitent à la prudence : comme ce fut le cas pour le Joues noires par exemple où il fallut plusieurs années avant que les flancs des mâles soient totalement noirs et les joues des femelles entièrement dessinées, la mutation Joues blanches n’en est qu’à ses débuts et peut encore évoluer.
 
Ces 3 éleveurs dans un premier temps ont axé leur travail sur l’hérédité de la mutation Joues blanches et ils sont formels : elle est récessive autosomale. Il faut donc qu’elle soit en double exemplaire pour s’exprimer.
 
Ils ont ensuite croisé des Joues blanches avec des gris, des bruns et d’autres mutations mais sans obtenir au final d’oiseaux avec des joues blanches (elles restaient colorées) ; les seuls indices possibles de la mutation étaient un trait de larmes absent ou atténué et des flancs avec des ondulations verticales.
Les seuls cas où la mutation exprimait sa particularité (Joues blanches et flancs blancs) ont été les croisements avec le facteur Joues noires, c'est-à-dire chez des oiseaux où la phaéomélanine rousse a été remplacée par de l’eumélanine noire.
 
Pour mieux comprendre le phénomène, on peut prendre l’exemple du mandarin blanc : sa particularité est d’empêcher totalement le dépôt des mélanines mais de garder dans son génome la couleur dont il est issu ; on parle alors de blanc masquant le gris (ou le brun ou autre). Dans ce cas, l’oiseau est à la fois l’un et l’autre mais seul le blanc s’exprime, l’autre restant caché. Si un des 2 facteurs blancs vient à manquer, la couleur sous-jacente réapparaît, l’oiseau n’étant alors que porteur de blanc.

On a un autre exemple avec le diamant de Gould où il existe des oiseaux Tête noire à pointe de bec jaune qui sont à la fois Tête noire et Tête orange mais où la première masque entièrement la seconde (sauf à la pointe du bec)

Donc, dans le cas du Joues blanches Joues noires, on constate qu’en double exemplaire, la mutation Joues blanches empêche le noir des joues et des flancs (pour les mâles) du Joues noires de s’exprimer. On pourrait donc écrire : Joues blanches masquant Joues noires.

Si le facteur Joues blanches n’existe qu’en un seul exemplaire, il n’occulte le noir du Joues noires qu’en partie seulement (on pourrait parler de dominance intermédiaire).
Sans aucun facteur Joues blanches, les oiseaux sont uniquement Joues noires.
 
C’est mon analyse mais il faut la mettre au conditionnel.
 
Néanmoins, mes résultats d’élevage tendent à la confirmer.
 
A) Avec le couple 1, le mâle et la femelle paraissant Joues noires porteur de Joues blanches, je devais obtenir théoriquement :  25% de Joues blanches masquant Joues noires (que l’on pourrait appeler Joues blanches), 50% de Joues noires porteurs de Joues blanches (Joues à la fois blanches et noires) et 25% de Joues noires (sans facteur Joues blanches).
Parmi les 8 jeunes issus de ce couple, je n’ai pas eu ces pourcentages mais néanmoins les 3 phénotypes prévus : 5 Joues blanches (Joues noires), 2 Joues noires / Joues blanches et 1 Joues noires (décédée depuis).

Voici 4 d’entre eux :

IMG 1174 c M IMG 2252 006 2 M IMG 2262 2 M IMG 2197 016 3 M
 

B) Avec un mâle Joues noires porteur de Joues blanches et une femelle Joues blanches (Joues noires) comme mon couple 2, le résultat devait être : 50% de Joues blanches (Joues noires) et 50% de Joues noires porteurs de Joues blanches Sur les 9 jeunes obtenus (tous dos pâle gris), les 4 femelles et 2 mâles sont des Joues blanches (Joues noires) et les 3 autres mâles sont des Joues noires / Joues blanches. C) La femelle du couple 3 étant décédée, j’ai dû accoupler le mâle Dos pâle gris Joues noires / Joues blanches à une femelle masquée AT porteuse de Joues noires. Les 3 mâles obtenus étaient évidemment des Dos pâle gris porteurs de masqué ; mais pour savoir s’ils étaient aussi porteurs de Joues noires et/ou de Joues blanches, il fallait un croisement de retour.J’ai attendu septembre, pour accoupler un de ces mâles (âgé de 6 mois) à la femelle du couple 1 : ils ont eu 3 jeunes (3 femelles) : une Dos pâle grise et 2 masquées AT dont une Joues blanches (Joues noires). Cette dernière a les joues blanches mais pas de trait de larmes, ce qui indique que le mâle était bien porteur de Joues noires et de Joues blanches. Pour la saison 2018-2019, je vais disposer de 7 couples et j’espère pouvoir affiner mes connaissances sur cette mutation.
En attendant, on peut esquisser ce qui pourrait être son standard (en Dos pâle gris) :

SYL 0932SYL 0945
Photos CGTE 2018 : Sylvain Chartier                                                                    Eleveur : René Druais

Mâle Dos pâle gris Joues blanches :
 
Bec : rouge corail.
Yeux : brun-noir.
Tête et nuque, de couleur gris cendré.
Manteau, dos et ailes, de couleur gris perle lumineux, légèrement plus claire que la tête.
Croupion, le plus blanc possible dans sa région centrale et bordé latéralement de noir.
Sus-caudales : alternance de bandes transversales noir intense et blanches.
Traits moustachiaux : noir intense et bien marqués.
Traits de larme : totalement absents.
Face et joues : blanc le plus pur possible, et bien délimité. Un contour extérieur noir peut être toléré.
Menton, gorge et poitrine : plastron de couleur de fond gris très clair, marqué de zébrures noir intense délimitées à la partie inférieure par la barre de poitrine noir intense.
Ventre, région anale et sous-caudales : blanc pur.
Flancs : le plus blanc possible.
Pattes et ongles : orange-rouge.

Femelle Dos pâle gris Joues blanches.

Bec : rouge corail.
Yeux : brun-noir.
Tête et nuque, de couleur gris cendré.
Manteau, dos et ailes, de couleur gris perle lumineux, légèrement plus claire que la tête.
Croupion, le plus blanc possible dans sa région centrale et bordé latéralement de noir.
Sus-caudales : alternance de bandes transversales noir intense et blanches.                                                                                     Traits moustachiaux : noir intense et bien marqués.
Traits de larme : totalement absents.
Face et joues : blanc le plus pur possible, et bien délimité. Un contour extérieur noir peut être toléré.
Menton, gorge et poitrine : gris très clair, le plus uniforme possible.
Ventre, région anale et sous-caudales : blanc pur.                                                                                                                            Flancs : le plus blanc possible.
Pattes et ongles : orange-rouge.
 
Défauts principaux : il faut s’attendre à ce que la taille et la rondeur ne soit pas encore celles des autres mutations, que le blanc des joues et des flancs soit encore mêlé de noir et que le type de base (gris ou dos pâle gris) présente lui aussi des défauts.
 
 
La mutation n’en est qu’à ses débuts et nul doute que le travail de sélection des éleveurs finira, comme pour d’autres avant elle, par améliorer format et type.
 
 
En parallèle du croisement Joues blanches X Joues blanches, il sera nécessaire de choisir de bons spécimens de Joues noires (surtout en format) pour obtenir, croisés aux Joues blanches, de meilleurs Joues noires porteurs de Joues blanches.
 
 
Voici les formules que j’utilise pour connaître les résultats :
 
Joues noires X Joues blanches (masquant Joues noires) X /X ou X/Y (jn+/jn+) (jb-/jb-) par X /X ou X/Y (jn+/jn+) (jb+/jb+) =100% Joues noires porteurs de Joues blanches : X /X ou X/Y ( jn+/jn+) ( jb+/jb -) .
 
Avec ces formules, on obtient :
Joues blanches (Joues noires) X Joues blanches (Joues noires) = 100% Joues blanches (Joues noires).
Joues blanches (Joues noires) X Joues noires / Joues blanches (ou l’inverse) = 50% Joues blanches (Joues noires) et 50% Joues noires / Joues blanches.
Joues noires / Joues blanches X Joues noires / Joues blanches = 25% Joues blanches (Joues noires), 25% Joues noires et 50% Joues noires / Joues blanches.
Pour résumer : la mutation Joues blanches n’agit (en la remplaçant par du blanc) que sur l’eumélanine noire des joues et des flancs de la mutation Joues noires.
Ce que l’on pourrait simplifier par la formule : « Sans Joues noires, pas de Joues blanches ». Si elle garde un trait moustachial (contrastant bien avec le blanc de la face) et supprime le trait de larmes, elle n’a aucune action sur le noir des zébrures, de la barre de poitrine et des barreaux de queue.
 
Remarques :
Dès que les plumes commencent à pousser, on peut déjà déceler les oiseaux qui seront Joues blanches :    
 IMG 1186 2      
       
L’extension des joues peut aussi évoluer. Voici mes 2 premiers jeunes Gris Joues blanches au sortir du nid et une fois adultes (femelles).
IMG 1149 Jeunes grises 3 M IMG 1149 Jeunes grises 2 M IMG 2168 039 3 IMG 2182 026 3 M
On note qu’avec le gris, les joues (ainsi que les flancs et le ventre) sont plutôt ocre très clair que blanches. Cela me parait normal car chez le gris , il semble rester un voile de phaéomélanine qu’il n’y a plus chez le dos pâle.   
 
IMG 2212 027 3      
Les barreaux de queue de ce Joues blanches montrent bien que cet oiseau n’est ni Poitrine blanche, ni Poitrine noire, même s’il y a ailleurs, des points communs avec ces mutations.
 
Conclusion
Comme toute mutation nouvelle, le Joues blanches suscite encore bien des interrogations. Il est trop tôt pour savoir quel avenir elle aura dans nos concours.
En 2018, j’en ai présenté en Dos pâle gris et en Gris. A mon avis, il est inutile de vouloir l’associer à d’autres phénotypes que les Joues noires (en série grise). Il faut commencer par la fixer en version classique avant d’envisager des Poitrines noires Joues blanches ou des Faces noires Joues blanches. Ne brûlons pas les étapes !